Le pouvoir des larmes

!! Petite notice d’avant lecture : cet article est très introspectif, je me livre beaucoup dedans, et il traite de sujets parfois très sensibles, dont l’hypersensibilité. S’il vous met mal à l’aise, ne vous forcez pas à le lire jusqu’au bout.

Cher journal,
J’ai toujours beaucoup pleuré.

Beaucoup de gens se sont demandés pourquoi, au cours de ma vie, je pleurais autant. Beaucoup de gens de mon âge se sont moqués de moi. Parce que je pleurais, devant les autres, tout le temps.

Je n’ai jamais compris pourquoi il faudrait se cacher pour pleurer. C’est un acte naturel et c’est normal de pouvoir se relâcher par moments. Je ne comprends pas ce besoin du paraître qu’il y a dans la société (et surtout la société japonaise) où littéralement si tu es toi les gens vont se détourner. Pourquoi je devrais m’empêcher de pleurer alors que c’est ce que je ressens ?

Et pourtant, à cause des questions, à cause des moqueries, à cause de cette société des apparences où les larmes versées sont le plus grand des tabous, à cause de la pression et de la honte qu’on vous impose quand vous avez le malheur de montrer que vous n’allez pas bien, j’ai fini moi aussi par intégrer que si je voulais me laisser aller à montrer mes émotions, il fallait que j’aille me cacher – ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai compris la règle tacite des toilettes. Si quelqu’un n’a pas l’air d’aller bien et qu’il se cache dans les toilettes, on attend que ça fasse un gros quart d’heure qu’il y soit pour lui demander si ça va et s’iel veut parler. Mais surtout on ne se remet pas en question et on ne s’excuse pas tant que l’autre n’a pas exprimé ce qui ne va pas.

Mais alors, pourquoi tu pleures, Fjeril ? Pourquoi tu pleurais devant tout le monde dans la cour de récré, pourquoi tu pleurais dans les toilettes ?

Il y a plein de raisons. J’ai toujours été très timide, très anxieux, et le contact avec de nouvelles personne me stresse. En partie parce que j’ai été surprotégé dans l’enfance par une mère qui avait peur (pour des raisons personnelles que je comprends mais qui n’excusent rien) que ce qu’il y avait entre mes jambes rende ma vie difficile. En partie parce que j’ai changé 4 fois d’école en 3 ans de maternelle. Quatre fois. Parce que je rentrais en pleurs (ah !) tous les soirs, incapable d’exprimer ce qui n’allait pas.

Ce qui n’allait pas, c’était que les instits s’étaient TOUS.TES décidés à faire de moi un droitier, alors que j’étais et suis toujours gaucher. Ils ont forcé mon cerveau à se tordre pour que je ne puisse plus écrire de ma main principale. C’était pour ça que je pleurais.

Ce qui n’allait pas, c’était que l’une de ces instits refusait d’écrire mon prénom correctement, en plus de me forcer à écrire de la main droite, et me forçait à écrire ce prénom qui n’était pas le mien. Et je ne comprenais pas. Pourquoi les autres avaient le droit d’écrire leur prénom et pas moi ? Pourquoi je devais écrire le prénom de quelqu’un que je ne connaissais pas ? Et de la main que je ne maîtrisais pas, alors que les autres pouvaient utiliser leur main principale ?

J’avais cinq ans tout au plus. J’étais incapable de formuler tout ça. Il n’y avait que des droitiers autour de moi, pourquoi j’étais anormal et incapable d’écrire de la main droite ? Pourquoi j’étais le seul qui dérogeait à la règle, en étant gaucher ?

Lorsque j’ai cessé de pleurer pour tout ça, c’est autre chose qui est venu s’ajouter au tableau. C’est la première fois qu’on m’a manipulé. J’avais 6 ans.

J’avais six ans et soif d’apprendre, de tout et de tout le monde, je n’étais jamais resté plus d’un an dans une école, je voulais avoir des amis. Je ne suis fait des amis, et même un (deux) amoureux. Il me portait comme une princesse et on se faisait des bisous sur la bouche, mais c’était plus lui qui était amoureux de moi que moi de lui (je préférais ce n°2 entre parenthèses). J’avais un petit groupe d’amis autour de moi et à la récré on jouait à Starla et les joyaux magiques, ou à chat perché, ou à peu importe ce qui était à la mode à l’époque chez les enfants en école privé.

Oui parce qu’après mes mésaventures en école publiques et les profs catho qui ont fait de moi un gaucher contrarié (j’ai appris bien plus tard que c’était parce que la main gauche c’était la MaIn Du DiAbLe OoUuUuH), mes parents se sont dit que la bonne idée c’était de me mettre en école privée catholique. La logique. Pas besoin de vous faire un dessin de la religion familiale que j’ai moi-même suivi jusqu’au collège, je suppose.

Donc, j’avais ce groupe d’amis, qui m’a même appris à lacer mes chaussures, j’avais A. mon amoureux. Et puis j’avais NM. Je vais l’écrire comme ça. Je me souviens encore de son nom et je sais que ce sont ses initiales. NM, si tu vois ce post, j’espère que tu es devenue quelqu’un de bien meilleur que tu ne l’étais à 6 ans, des bisous (non tu ne les mérites pas de ma part).

NM c’était quelqu’un qui avait compris que j’étais quelqu’un de naïf et d’influençable, parce que tout, TOUT m’intéressait. NM alors a profité de moi pour faire de moi son servant. Je n’ai plus le moindre souvenir des détails, malheureusement. Mais je me souviens de la souffrance. Je me souviens de ce besoin de faire ce qu’elle voulait de moi. Je me souviens que j’ai pleuré, beaucoup.

Et je me souviens du jour où je me suis libéré. Du jour où j’en ai eu marre, et où c’est moi qui ai décidé des règles. Du jour où j’ai construit ma carapace.

Ce jour-là je me suis recroquevillé, la tête dans mes genoux. Et j’ai fait comme si plus rien n’existait. Je ne voyais plus rien. Je ne sentais plus rien. Et je faisais semblant de ne rien entendre. Je ne réagissais pas quand elle tentait de me faire réagir. Elle est allée chercher une surveillante, en disant que j’avais fait un malaise. Et quand la surveillante est arrivée, je lui ai montré que non, j’allais bien, mais que c’était parce que NM était méchante avec moi.

Je crois que peu de temps après, NM a quitté l’école.

Moi aussi je l’ai quittée.

Et du coup, je suis entré dans une nouvelle école. Le stress de rencontrer des gens. Le stress des instits qui ne savent pas tout ce qui vous est arrivé et qui s’en foutent, par contre s’ils peuvent vous engueuler ils s’en feront un plaisir. Une fois, je suis tombé malade. J’ai vomi dans le lavabo de la classe. Eh bien, au lieu de nettoyer ou faire nettoyer le lavabo en attendant que revienne à l’école parce que les trente autres élèves de la classe risquaient de l’utiliser, l’instit a attendu que je revienne pour me faire nettoyer tout le lavabo à la main. Je ne comprenais pas cette punition. Alors j’ai pleuré.

Des anecdotes comme ça j’en ai des dizaines, peut-être des centaines et ça me prendrait au final toute la journée de les décrire. Je voulais y aller cas par cas, pour me rappeler et expliquer pourquoi je pleurais, mais je n’en ai pas l’énergie, et, vous vous en doutez bien, si j’écris cet article, c’est parce que j’ai envie de pleurer.

Mais pourquoi j’ai envie de pleurer là, maintenant tout de suite ?

Eh bien c’est parce que je n’y arrive pas. J’ai trente-et-un ans, et pourtant j’ai l’impression d’en avoir six, de ne rien connaître du monde et des évidences que tout le monde semble connaître. Comment ça se fait que la façon de faire quelque chose soit aussi évidente pour les autres alors que je comprends tout de travers ? Comment je suis censé faire quelque chose qu’on ne m’a pas enseigné, dont je n’ai pas la moindre expérience ? Si je me trompe on va me gronder et même pire, on va me rabaisser, me virer peut-être. Me forcer à retourner dans un pays où je n’ai pas ma place.

Parce que ce ne sera pas la première fois que je comprends de travers, parce que j’ai besoin de structure et qu’il n’y a personne pour en établir une. Je pleure parce que je me mets une pression qu’on m’a appris à me mettre, parce que « en dessous de 17 c’est nul », parce que « moins que parfait c’est nul ». Mais aussi parce que j’ai l’impression de n’être qu’un enfant, d’être le seul trop con pour ne pas comprendre ce qu’on me demande d’un claquement de doigts.

Parce que je ne comprends pas la philosophie, parce que je ne vois pas l’intérêt de se poser des questions qui n’ont aucune réponse, et de broder autour de citations que j’étais incapable de retenir de gens qui visiblement devaient avoir une vie pas bien passionnante et donner l’avis de quelqu’un d’autre au lieu du mien sur minimum une copie double. Parce que je ne vois pas l’intérêt d’expliquer la magie et de l’appeler de la « science » pour faire semblant d’être des gens sérieux alors qu’au fond, je l’ai compris tard aussi, on est tous des enfants. Parce que mes yeux d’enfants voyaient l’âge adulte comme quelque chose de gris, d’ennuyeux – voyez-vous, j’ai grandi avec un père dont la seule passion c’était son travail, et une mère qui passait ses journées à faire le ménage dans la maison pour qu’il n’y ait pas la moindre poussière parce que mon frère y était allergique.

Parce que je ne voyais pas la passion dans le fait d’être adulte. Parce que tout ce dont j’avais l’impression c’était qu’il fallait abandonner tout ce qui était amusant et se forcer à faire des trucs ennuyeux qui m’endormaient. Qui m’endorment toujours et ne me paraissent pas plus passionnants qu’avant. Parce que je ne voyais pas l’intérêt d’être adulte, si ce n’était pour avoir une maison à soi et ne plus avoir à supporter sa mère qui met la télé collée au mur à fond et qui hurle tout le temps pour tout, parce qu’elle ne supporte pas que tout ne soit pas fait comme elle elle le veut, mais que vous ne comprenez pas ce qu’elle veut.

Un jour, parce qu’elle ne comprenait pas que je n’avais plus l’énergie de suivre les cours et encore moins de me forcer à les étudier parce qu’ils m’ennuyaient (8h d’une matière dont vous ne voyez même pas l’intérêt par semaine, c’est violent), elle a jeté tous les cours que je n’avais pas rangé, par terre, dans ma chambre. Dans toute ma chambre. Un bordel monstre.

J’ai pleuré. J’ai pleuré parce qu’elle criait, j’ai pleuré parce que je ne savais pas comment exprimer mon mal-être, parce que quand je lui faisais comprendre que je n’avais pas envie, pas la force d’aller à l’école, au lieu de me demander ce qui n’allait pas, elle me disait que si j’avais l’énergie pour aller à l’équitation, à mes cours de japonais (qui eux me passionnaient bien plus) et au théâtre, alors j’avais aussi celle d’aller en cours.

Non, maman, je ne l’avais pas. Je n’en pouvais plus. Je voulais profiter des trucs qui me rendaient heureux dans la vie et prendre une pause de ceux qui m’épuisaient. Tu m’as forcé à m’épuiser. Résultat j’ai perdu la possibilité de pratiquer l’équitation. J’avais l’impression de mourir.

Un jour, elle a glissé sur l’une des feuilles, et elle s’est blessée. Elle a reporté la faute sur moi, bien sûr. Parce que je n’avais pas ramassé mes feuilles. J’ai pleuré en silence, parce que je savais que si je lui disais ce qui me passait par l’esprit, c’est à dire que je n’étais pas responsable du bazar qu’elle avait foutu dans ma chambre alors que mes cours étaient très bien dans le placard où je les posais, et que c’était bien fait pour elle, j’allais me prendre une double paire de claques, et là, j’allais pleurer bien plus encore.

Oui, chez moi la colère et la désobéissance ça se réglait par des claques et des enfermements dans la chambre – mais j’étais chanceux, après tout, moi je n’étais pas battu pour tout et rien !

Aujourd’hui si je pleure, c’est parce que j’ai mal partout dans le dos, à la tête. Parce qu’on me met des responsabilités que je ne comprends pas sur les épaules, parce qu’encore à cette heure on me dit « fait ça » mais sans me donner le manuel d’instructions – ou alors je l’ai perdu à la naissance, je ne sais pas.

Je pleure parce que je me sens seul, mais surtout, et c’était là où je voulais en venir à la base, cet article n’a plus rien à voir avec ce qui je voulais faire à la base, c’est parce qu’il y a trop de sons. Trop d’images. Trop d’odeurs. Et que je ne sais pas exprimer ça. Ou plutôt, si je l’exprime, je vais me mettre en colère. Et j’ai connu la colère de l’autre côté bien assez souvent pour ne pas avoir envie de le faire.

Là, tout de suite maintenant, je suis dans mon bureau. A côté de moi, mon collègue a mis de la musique, fort. Des idols à la japonaise, des minettes de 14/15 ans qui chantent faux et par groupes de 50 des chansons niaises et à l’instrumentale douteuse. Parce qu’en même temps, l’enceinte de la boîte diffuse de la musique classique du fond de placards qu’on aurait préféré laisser fermés. Du coup j’ai enfourné mes écouteurs dans mes oreilles pour ne pas avoir à entendre cette cacophonie mais que je l’entends encore entre deux chansons ou quand je suis obligé de retirer un écouteur pour discuter. Et ça me frustre, parce que c’est désagréable, parce que je suis fatigué, épuisé d’un week-end qui n’en était pas un, parce qu’hier j’ai déplanté huit cents roses artificielles avant de faire presque 4h de routes et que mon corps m’en veut ; et tout ça, ben ça joue sur le peu de concentration que j’ai de base. J’ai du travail, mais je suis incapable de me concentrer dessus, à cause de tout ça. alors c’est frustrant, et insupportable.

Alors j’ai envie de pleurer, parce que tout ça c’est épuisant, parce que je veux juste rentrer chez moi et dormir pendant les dix prochains jours.

Parce qu’au fond, je me sens toujours comme un bébé, incapable d’exprimer toutes les choses qu’il ressent. Parce qu’il n’en a pas vraiment conscience, et parce que de toute façon, les gens autour de moi ne comprendraient pas. Parce que pleurer ou prendre du repos, ici, c’est être faible, parce que dans le monde des adultes, surtout au Japon, ta santé on s’en fout, tu peux bien crever pourvu que tu fasses ton travail comme on te dit de le faire et sans te poser de questions.

J’ai encore la chance d’être dans un corps de métier progressiste et novateur, mais même comme ça ta vie privée ne doit jamais passer avant ton travail. Et ça, ça me tue à petit feu ; et ce n’est pas une métaphore. Ca fait plusieurs mois que je me demande si j’atteindrais les quarante ans.

Ce n’est pas la façon la plus joyeuse de finir cet article, mais qu’est-ce que vous voulez, c’est mardi. Evitez les mardis.

Et surtout, prenez le temps de pleurer, et de chercher à comprendre pourquoi vous pleurez. Ecrivez-le sur un papier. Ou sur un cahier, ou sur un blog. Mais prenez le temps de l’exprimer, ça ne peut que vous aider à mieux communiquer.

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