Le Bar à Pression

Je vous ai déjà parlé du bar à pression dans un précédent article et sa métaphore filée un peu tordue sur l’alcool. Mais je n’ai fait qu’effleurer la surface de l’iceberg, évoquer le nom de la bête. Le bar à pression… C’est toute une histoire.

Le bar à pression est une femme d’une quarantaine d’années minimum, et je dis bien minimum, mais qui parle comme cette lycéenne prétentieuse qu’on a tous connu. Vous voyez laquelle ? Celle qui critique tout et tout le monde, tout le temps.

Je ne sais jamais quoi penser d’elle. Au début je la trouvais critique mais je me disais qu’elle cherchait à ce que je m’améliore, alors je tenais bon. Mais il s’est passé quelque chose.

Durant l’été, alors que je discutais avec mon collègue français, on parlait du bar à pression. Il la déteste et aujourd’hui je comprends pourquoi. A l’époque, pas spécialement. Il me raconte alors que celle que je prenais pour ma cheffe, celle que je voyais au dessus de moi, n’était pas du tout ma cheffe. Qu’elle était au même niveau que tout le monde – et là mon monde s’effondre.

Toute la mentalité que j’avais construit avec les cours de comportement en entreprise, toute l’attitude que j’avais appris à prendre sont parties en vacances pour le reste de l’année. Cette femme n’était pas ma cheffe, et en plus, selon mon collègue, ça faisait environ trois ans qu’elle était dans la boîte, avant elle était dans une entreprise liée à la nôtre et allez savoir pourquoi elle est arrivée ici, avec tout le monde. D’un coup elle n’était plus la supérieure exigeante pour de bonnes raisons, d’un coup, dans ma tête, elle est devenue l’ennemie. D’autant plus à l’instant où mon collègue me dit :

« Depuis que t’es là elle me fait beaucoup moins chier ! »

Non seulement elle est l’ennemie, mais en plus elle me prend pour sa tête de turc ? On va voir qui est le plus tête de mule. A partir de ce jour-là, j’ai cessé de répondre aux provocations, et commencé à moins hocher de la tête en souriant. Forcément, ça ne lui a pas plu.

Elle me parlait assez mal de base, et encore aujourd’hui refuse de se départir du mot « Gaijin » que je hais plus que tout au monde, car il indique une sorte de méprise de la personne dont on parle. « Gaijin » ce n’est pas juste un étranger, c’est quelqu’un en dehors de la masse, et donc par défaut mal vu. Mais pendant quelque mois, j’ai ressenti une véritable guerre froide entre nous deux. Je ne voulais plus obéir sagement, et elle n’aimait pas ça. J’ai tendance à être anxieux et à ne pas oser donner d’ordre, et elle n’aimait pas ça.

Et puis je me suis rendu compte.

Je l’ai observée, je l’ai écoutée. Et j’ai compris. Même si elle râle beaucoup à mon sujet, même si elle se plaint des étrangers (surtout de notre collègue Malaysien qu’elle prend pour un abruti – je ne plaisante pas, elle m’a dit en face « Bidule est idiot alors il ne va pas faire ça correctement »), eh bien…

Ce n’est pas forcément dirigé contre moi en particulier. La preuve, quand je fais mon travail vite et bien elle n’a rien à redire, et quand elle n’a rien du tout à redire je prends ça comme un compliment. Quand je lui donne des consignes claires, elle les accepte sans rechigner. Mais en revanche :

Elle se plaint de tout, de tout le monde, partout, tout le temps. Sans arrêt et pour le moindre détail.

Parce qu’on a eu un cas de covid dans notre entreprise, une personne avec qui elle a été en contact, elle a du passer un test PCR. Sauf qu’au lieu de se renseigner comme il fallait le premier jour, elle a appelé la sécurité sociale, ils lui ont refusé parce qu’elle n’avait aucun symptôme, et elle s’est contentée de ça. N’en a parlé qu’à la fin de la journée, alors qu’on lui avait demandé de le faire à 10h.

Le lendemain, elle a attendu le début d’après-midi pour se renseigner auprès de nos deux collègues qui eux, sans symptômes également, l’avaient fait la veille. Et elle a trouvé des trucs à redire au moindre conseil qui lui a été donné.

Elle s’est décidée vers 16h, « je vais prendre la version deluxe qui donne le résultat le soir-même parce que chez Soleil Scribouille (le client pour qui nous travaillons en ce moment) ils ont l’air casse-pieds avec ça. J’irais le faire demain. »

  1. Si elle avait demandé le premier jour, elle aurait pu prendre la formule pas deluxe, à moitié prix, elle aurait eu le résultat le même jour et elle nous aurait moins cassé les pompons
  2. C’était moins une question de Soleil Scribouille qui serait casse-tartule qu’une question de savoir où quand et comment j’allais devoir travailler aujourd’hui.` Parce que bon, entre me lever à 4:30 du matin pour Soleil Scribouille et à 7:30 pour Random (allez, 6:30 en vrai parce que je serais allé faire ma rééduc avant) y’a quand-même un MONDE, qui s’appelle « mon sommeil ».

Du coup ben je sais plus trop quoi penser. Elle reste un bar à pression, mais c’est pas de la pression de super qualité en fait. C’est plus un bar à pression qui produit de bonnes bières une fois par an, et encore c’est pas sûr.

A cause du ? Grâce au ? travail, on ne se croise plus beaucoup – c’est tant mieux, elle a tendance à mettre sa radio quand j’ai besoin de concentration et ça me gâche des journées entières de travail. Mais voilà, ne pas être trop souvent dans la même pièce que cette personne ça fait du bien.

Je ne sais toujours pas vraiment quoi penser d’elle. Ennemi, amie, neutre, ça reste « ma pas-cheffe » quand j’en parle à tout le monde parce que cet épisode m’avait marqué. Ce qui est sûr c’est que je ne la laisserais plus me mettre la pression pour rien.

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